
(Et le problème, c’est que je ne sais faire que ça…)
Vous avez tous entendu parler des différentes préhensions en escalade : tendu, arqué, semi-arqué…Et comme vous êtes curieux, vous vous êtes intéressé à la manière de progresser dans ces domaines : vidéos, articles, vous savez tout sur les suspensions. En fait, non, vous ne savez pas tout, car vous êtes les « incompris ». Vous êtes les vrais grimpeurs de tendu, ceux qui n’ont pas le choix, qui ont beau regarder leurs doigts avec un constat et une question récurrente : comment est-possible que les phalanges se mettent dans cette position ? Cet article est fait pour vous, vous les oubliés.
Qui êtes-vous ?
Depuis que vous avez commencé à grimper, vous ne vous êtes jamais vraiment posé la question. Tout se prend en tendu, et c’est super. Vous avez progressé physiquement, en gainage, pourquoi pas en fermeture de bras, et vous arrivez même à faire de jolies croix dans le 6, le 7, voire dans le 8, avec vos doigts qui épousent merveilleusement les prises que le rocher ou le bloc vous proposent. Clairement, il se peut même que vous soyez meilleur à l’extérieur, sur de vrais plats (vous savez, pas les plats que tous les grimpeurs de la salle prennent en arqué ou en pince…). Des vrais plats, avec du vrai grain. Vous êtes devenu très à l’aise lorsque ça penche, les compressions vous adorez, les jetés aussi, pourquoi pas les angles et arêtes.
Oui mais voilà, si vous progressez physiquement, il reste un domaine dans lequel vous êtes vraiment nul : le vertical. Lorsque vous êtes cramé, vous ne tenez plus en tendu, et la falaise peut vite devenir compliquée pour vous. Du coup, vous avez une différence de niveau significative entre votre perf max, et ces petits mur verticaux qui vous obligent à tenir une prise…que vous ne tenez pas en tendu. Et au bout de quelques années, tout cela vous énerve sacrément.
Vous avez donc essayé de travailler en arqué, ou semi-arqué, et vous vous êtes blessé, bien souvent une rupture partielle de la poulie. Quelques mois plus tard, retour à la case départ.
Ces grimpeurs qui vous énervent
Autour de vous, certains grimpeurs (ou aussi des grimpeuses…) vous énervent particulièrement.
1 Ceux qui disent grimper en tendu, alors que ce n’est pas vrai. C’est juste qu’ils maîtrisent parfaitement les préhensions, et tant que ça passe en tendu, ils passent en tendu.
2 Ceux qu’on surnomme bébert, lulu, fredo, ced… ces grimpeurs que vous rencontrez et qui vous disent souvent « ah mais toi tu vas randonner, moi je n’ai pas de force ». Et bien évidemment, ils vous disent ça dans un bloc où il faut fermer le bras…avec une prise que vous ne tenez pas, et une autre que vous ne tiendrez pas. Vous connaissez ces grimpeurs de vertical qui disent ne pas avoir de force et qui supportent leur poids sur une prise de 2mm ? Oui, ils ne tractent pas à un bras (parfois difficilement à deux bras), mais ils ont au moins une force indéniable : celle de pouvoir tenir les micros prises en vertical ou en dalle, et donc de pouvoir aussi utiliser leurs pieds. Ces grimpeurs, qu’on dit « technique » ont quand même un net avantage sur vous. Et ils vous énervent.
3 Enfin, ceux-là vous énervent moins, mais ils ne doivent pas arriver au mauvais moment : iI s’agit de ceux qui ne vous comprennent pas, et qui ne vous comprendront jamais.
Vous avez quand même un point fort
Avant d’aller plus loin, il faut quand même être conscient d’une chose. Votre niveau, que vous avez atteint sans jamais tenir les prises, vous a permis de développer un point fort : vous avez compris qu’une prise se tient, non pas en la serrant comme un fou, mais avec tout un ensemble d’autres groupes musculaires. Vous savez donc grimper relâché, et ne pas trop serrer les prises (en fait, vous ne savez pas serrer les prises du tout souvent !). Il va falloir garder ça dans un coin de votre tête.
Alors, que faire ?
1 Vous vous dites que c’est comme ça et que vous n’êtes pas fait pour les petites prises. Bonne idée, au moins vous ne risquez pas de vous blesser. Si vous continuez à progresser dans votre style, c’est super.
2 Vous vous dites que ce serait quand même bien de progresser en tenue de prise, surtout pour être plus polyvalent. Il peut y avoir plusieurs motivations : atteinte d’un âge où les jetés ne vous amusent plus vraiment, une frustration terrible en falaise (bah oui, ils sont où les gros mouvements dans les dévers ?), un déménagement qui vous oblige à grimper dans une salle avec des petites prises partout etc.
Nous allons parler de ce 2ème point. Voici quelques conseils et remarques pour progresser.
- Si vous regardez vos doigts, ils sont encore assez fins. Quand vous tentez de placer vos phalanges en position semi-arqué (on ne parle même pas d’arqué !), votre doigt reste droit comme un « i », surtout pour le majeur et l’annulaire. Faites-vous une raison, biomécaniquement, vous n’êtes pas fait pour arquer, c’est sûr. Et à l’âge adulte, il ne faut pas espérer un grand changement de ce côté-là. Par contre, progresser en semi-arqué, c’est possible !
- Vous devez, plus que n’importe qui, accorder une vraie importance à l’échauffement des doigts.
- Oubliez les suspensions en effort max (du genre suspendez-vous avec une tenue de prise maximale de 5 secondes). Ce qui vous limite, c’est le côté biomécanique, pas la contraction musculaire. C’est important, n’allez jamais jusqu’au bout de vos forces.
- Si vous décidez de renforcer de point, ce sera très coûteux nerveusement, et « articulairement ». Je vous conseille de ne pas vous éparpiller dans la préparation physique, avec le reste. La priorité maintenant, c’est la tenue de prise. Le reste suivra en temps voulu.
- Si vous suivez le point précédent, il va falloir accepter plusieurs choses. Tout d’abord, moins grimper dans votre style de prédilection. Ensuite, accepter le regard des autres (« tiens mais il galère dans un bleu, alors que d’habitude il sort du noir ? ». En travaillant la préhension en semi-arqué, vous allez aussi découvrir / approfondir d’autres points techniques : transfert de poids, ouverture de bassin, équilibration etc. Ça fait partie de la progression, la tenue de prise va avec le style correspondant. Dites-vous que votre marge de progression est importante, et même si côté cotation ça ne suit pas, vous progressez.
- Vous allez devoir écouter votre corps, c’est-à-dire accepter pleinement si vous êtes fatigué. Au fil du temps, vos doigts vont trembler, vos articulations peuvent grossir, des douleurs peuvent apparaître au niveau des poignets. Accordez-vous du temps pour vous auto-masser les avant-bras (fléchisseurs et extenseurs), étirez-vous, buvez. En serrant pour la première fois des prises, vous pouvez créer un déséquilibre au niveau de l’articulation du poignet. D’ailleurs, vous verrez qu’une légère douleur au poignet peut disparaître en quelques minutes grâce à un automassage. Enfin, les bains froids peuvent aider, c’est le meilleur anti-inflammatoire naturel !
- Côté progression, voici une idée ce que vous pouvez envisager. Des suspensions à deux mains, pieds au sol, juste pour « sentir » la position, une ou deux fois par semaine. Quand vous le sentirez (et vous savez très bien qu’à l’étape précédente, c’est impossible !), essayez de tracter à deux mains, en semi-arqué (vous pouvez lancer le mouvement avec les pieds). Déjà, quand vous aurez atteint de stade, ce sera plus sympathique ! Ensuite, il faut respecter quelques règles en grimpant. Vous allez tenter des blocs en semi-arqué maintenant, mais pas à n’importe quel prix.
1 Toujours lâcher prise si douleur
2 Bien porter son attention sur la qualité de tenue de prise. Si vos doigts sont mal placés et que vous tirez dessus, ça risque de faire mal…
3 Privilégiez les mouvements dans l’axe. Pas de gros mouvements vers la droite ou vers la gauche. Chez vous, si ça tire, ce ne sera pas une entorse, mais une rupture partielle de poulie. Donc prenez une prise en semi-arqué, et tirez dessus de manière homogène, dans l’axe.
4 Il se peut qu’en 2 ou 3 essais, vous ayez grillé tout votre potentiel pour la séance ! Pas grave, n’insistez pas, la quantité n’apportera que des blessures. Au début, vous aurez de quoi faire un bloc ou deux par semaine, et puis ça ira mieux avec le temps. La progression n’est jamais totalement linéaire, vous aurez des périodes plus difficiles !
5 Quand vous serez plus à l’aise, vous allez vous surprendre à tenir quelques prises, vraiment. Seulement à partir de ce moment-là, vous pourrez envisager des suspensions, à deux bras. Mais attention, seule la douleur doit vous arrêter, pas la contraction musculaire. Une fois par semaine, pas plus (3 à 6 suspensions, c’est tout !).
6 Il faut être patient. Il faut plusieurs mois pour optimiser le tout.
7 Vous allez pouvoir tester tout ça dans les voies maintenant, et ce sera un réel plaisir !
8 Amusez-vous et retourner dans vos styles de prédilection. Vous venez de vous ouvrir d’autres portes.
En conclusion
Si vous n’avez rien compris à cet article, c’est que vous ne souffrez pas de ce problème-là ! Si vous vous sentez concerné, je peux vous garantir qu’il est possible de progresser, et de varier son escalade. Souvenez-vous que les véritables performances ne sont peut-être pas toujours celles qu’on réalise dans son style.
Bonne grimpe !